Il est maintenant indispensable d’analyser avec toute l’attention requise ce qui, depuis une quinzaine d’années au moins, est devenu la dimension fondamentale de l’expérience zapatiste : la construction de l’autonomie dans les territoires rebelles du Chiapas. Sous ce nom d’autonomie – par lequel les zapatistes eux-mêmes synthétisent leur pratique – on doit entendre à la fois la mise en œuvre de modalités d’autogouvernement entièrement dissociées des institutions de l’État mexicain et la réinvention de formes de vie ancrées dans la tradition indienne et néanmoins inédites, qui échappent autant qu’il est possible aux déterminations capitalistes.
Cœur de la lutte zapatiste, la construction de l’autonomie ouvre une brèche au sein de la domination du productivisme et de la quantification économique. Elle pourra certes paraître bien modeste à l’échelle de la planète, et on ne saurait trop souligner sa fragilité. Elle n’en constitue pas moins une des rares expériences récentes qui se situe véritablement à hauteur des enjeux de l’époque et propose une manière d’y faire front qui prenne les problèmes à la racine. De fait, elle constitue l’une des utopies réelles les plus remarquables et les plus radicales qu’il soit donné de découvrir aujourd’hui, dans les interstices d’un monde soumis à la folie destructrice et déshumanisante de l’Économie toute-puissante. Il n’est pas indifférent d’ajouter, d’une part, que cette expérience se déploie sur un territoire dont la taille n’est pas négligeable – elle est comparable à celle de la Bretagne ; d’autre part, que sa capacité de résistance et son inventivité politique lui ont permis de persister et de continuer à avancer durant un quart de siècle, en dépit de toutes les attaques contre-insurrectionnelles – militaires, paramilitaires ou autres – lancées contre elle.
Source : Introduction de la série de 8 articles sur la rébellion zapatiste sur le site bascules.blog
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